Lorsque le batteur de jazz - et militant de la cause noire-américaine - Max Roach intègre en 1944 la formation de Duke Ellington, pour un remplacement, il se rend compte qu’il doit se débrouiller sans aucune partition. Pour le rassurer, Ellington lui glisse à l’oreille « Keep one eye on me, son, and one on the act » (« garde un œil sur moi, fiston, et le second, sur le groupe ». Cette sentence n’est pas uniquement de celles, légendaires, qui auront lancé la carrière d’un grand musicien. C’est la portée symbolique de cette phrase qui frappe Thomas Balthazar et Grégoire Maus: centrer son regard sur quelque chose de précis, tout en conservant une vision globale des choses; passer du particulier au général et réciproquement, à la fois observer et prendre part au mouvement. Un axe qui deviendra la colonne vertébrale souple et flexible d’une recherche sonique tout en intransigeance.
Cette observation participante, Grégoire et Thomas l’ont acquise dans les couloirs sombres et hostiles de la « grande école », où la survie et la construction de son identité requièrent adaptation et imagination, tête haute et recherche du point de fuite. Ils se rencontrent à 13 ans, en classe d’éveil. Chacun des élèves doit alors apporter un objet qui lui tient à cœur. Parmi les peluches, écharpes, photos et autres vestiges de vies encore adolescentes, ils sont les seuls à amener leur album fétiche. Ils se reconnaissent du coin de l’oeil, et ne se quitteront plus, passant le temps entre discussions cruciales autour de la musique et rêveries devant des fenêtres trop étroites pour assouvir leur soif de découvertes et accueillir leurs fourmillements intérieurs.